Les médias américains et le "candidat noir"

Publié le par ainsisoisje26

LE MONDE | 12.04.08 | 14h33

La campagne des primaires 2008 aux Etats-Unis restera comme la première couverture médiatique d'une élection "post-raciale". Et l'exercice n'est pas facile. "Quand il est question de race, le langage n'est pas un instrument de dialogue, c'est un champ de mines", résumait, fin janvier, Robin Givhan, la chroniqueuse style du Washington Post.

Avec la candidature de Barack Obama, les médias doivent en permanence louvoyer entre deux écueils. Car il est bien difficile de ne pas parler "couleur" - même le recensement de la population américaine est établi en fonction de la "race". D'un autre côté, en parler trop revient à renvoyer le sénateur de l'Illinois dans la catégorie du "candidat noir", qu'il souhaite absolument éviter (tout en faisant campagne sur son originalité).

Pour prendre en compte toutes les sensibilités, plusieurs médias américains, comme CNN, ont recruté des intervenants issus des minorités. Mais, sur MSNBC, Chris Matthews continue avec des remarques comme celle-ci : "Ceci devient très ethnique, mais le fait que Barack Obama soit bon au basket-ball ne surprend personne, alors que le fait qu'il soit aussi mauvais au bowling vous fait vous interroger." Dans une société encore très compartimentée, la presse a de fait tendance à figer des attitudes plus fluctuantes qu'il n'y paraît. Les clivages en sortent renforcés : "Latinos" contre "Blacks", hommes contre femmes, basket contre bowling, buveurs de bière contre buveurs de vin, etc.

Comment couvrir les dérapages. Qu'est-ce qui est "raciste" ? Sur quel thermomètre mesurer l'indignation ? "Les mots sont constamment surinterprétés ou sortis de leur contexte. Leur signification et leur impact changent en fonction de celui qui parle et de celui qui l'écoute", dit encore Mme Givhan.

Quand Géraldine Ferraro, une proche d'Hillary Clinton, rivale de M. Obama pour l'investiture démocrate à l'élection présidentielle américaine, a déclaré que ce dernier, qui n'a que trois ans d'expérience au Sénat, ne serait pas là où il est "s'il était blanc", la presse s'est indignée. Ce commentaire a alors été perçu comme une manière de diminuer les mérites de Barack Obama, en portant sa réussite au compte de l'affirmative action.

"Cette indignation avait-elle vraiment raison d'être ?", interroge pourtant Mme Givhan. Selon elle, en effet, Geraldine Ferraro n'a fait qu'observer "que nous n'avons pas tant "transcendé" la race que nous ne nous en sommes épris".

Mais quand Claire McCaskill, cette fois une proche de M. Obama, a estimé que le candidat était "le premier responsable noir à se présenter devant les Américains non pas comme une victime mais comme un leader", il n'y a pas eu de polémique puisqu'elle était censée lui faire un compliment... Il est revenu aux médias "noirs" de s'indigner seuls de cette "perle", selon l'expression du professeur Darren Hutchinson, qui écrit sur le site Internet BlackProf.com.

Barack Obama a quant à lui affronté sa première tornade médiatique mi-mars à propos de son pasteur, Jeremiah Wright. Les déclarations enflammées de celui-ci étaient pourtant déjà connues. Les cercles républicains notamment en parlaient depuis des mois. L'agence Religion News Service avait ainsi évoqué la controverse dès 2005. Les principaux médias ne s'y étaient que peu intéressés. Soudain, le 12 mars, les chaînes câblées ont commencé à diffuser des extraits qui se trouvaient sur YouTube, sur le site de l'Eglise elle-même. La polémique, qui n'avait pas pris pendant les mois précédents, a finalement éclaté.

Pourquoi à ce moment-là ? Les lecteurs du Washington Post ont posé la question à la médiatrice du journal, Deborah Howell. Celle-ci n'a pas trouvé de réponse. La journaliste chargée des affaires religieuses avait suggéré à deux reprises d'écrire un article sur l'Eglise de M. Obama, la Trinity United Church of Christ, mais ses éditeurs n'y avaient "rien vu de neuf", a-t-elle expliqué.

Après des mois de bataille, les nerfs sont à vif. Début mars, des blogueurs ont ainsi accusé la campagne Clinton d'avoir "foncé" la peau de Barack Obama dans une vidéo utilisée dans une de ses publicités. Le Centre de la fondation Annenberg pour les politiques publiques a comparé les vidéos sur différents supports et n'a pas conclu au racisme. Tous les visages dans la publicité avaient été foncés, pas seulement celui de M. Obama, ce qui est apparemment "une technique courante dans les publicités d'attaque".

L'émission "Saturday Night Live" a aussi été soupçonnée d'arrière-pensées lorsqu'elle a utilisé un comédien "blanc" pour personnifier M. Obama dans l'un de ses sketches satiriques. Le responsable du casting a tenté d'expliquer que l'unique comédien noir de l'émission était tout simplement trop corpulent pour être convaincant dans le rôle du jeune sénateur. Les origines des participants de l'émission ont fini par être expliquées en détail (le comédien "blanc" qui joue M. Obama est en fait à moitié asiatique, a-t-on appris.)

Même un expert en langage "post-racial" comme M. Obama a fini par être surpris à généraliser. A propos de sa grand-mère, il a ainsi parlé de "personne blanche typique". Devant les critiques, son porte-parole a dû rectifier : M. Obama voulait en fait parler des personnes "typiques de sa génération".

Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 13.04.08.

Publié dans Actus

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